De Rio de Janeiro au Minas Gerais, quarante-huit heures trépidantes dans les pas de Jean-Louis Borloo.
Lundi. 5 heures du matin : il n'a pas quitté sa veste de costume pendant les onze interminables heures de vol qui séparent Paris de Rio. Le visage froissé, la crinière en pétard, l'appareil tout juste posé, il piétine d'impatience dans la travée principale, un énorme dossier sous le bras. Sur les couvertures des chemises, des intitulés à rallonge sur des textes de loi, des conventions, des chartes ou des organisations onusiennes... Il a bossé une bonne partie de la nuit, dormi une poignée d'heures. Sans ôter ses chaussures. Debout, il s'expulse de l'avion, une nuée de conseillers, officiers de sécurité, journalistes trottinant à sa suite. Une fois passé les douanes, une chaleur à débiter à la tronçonneuse étrangle les voyageurs. Le Brésil s'offre un hiver aux températures estivales. Borloo passe les différents contrôles au pas de charge. Pressé de prendre une douche à la résidence française du consulat avant de se rendre à la Conférence sur la gouvernance internationale de l'environnement et du développement durable. La journée s'annonce trépidante, une constante de son agenda de ministre. De quoi s'offrir une humeur à géométrie variable. Pas toujours très aimable Jean-Louis Borloo, mais toujours courtois. Par principe. Dans ces moments-là, il s'abrite derrière un visage aux accès verrouillés. Dès lors, même les journalistes sont à court de questions...
10 h 00 : palais de l'Itamaraty. Ouverture de la réunion. Autour de l'immense table ronde, des interlocuteurs du monde entier. Jean-Louis Borloo planche encore sur son discours. Il note, paraphe, souligne d'une écriture psychotique, en pattes de mouche. Maîtriser les dossiers inhérents à sa fonction relève du savoir encyclopédique. Son ministère conjugue l'écologie à l'énergie, le transport à l'urbanisme, la mer et l'aménagement du territoire, la montagne et la forêt... Planche sur les enjeux nationaux et internationaux. Rassemble des acteurs de tous les domaines de compétence. Hélène, sa conseillère diplomatique, est en permanence à ses côtés. Dans la salle de réunion de Rio, elle lui chuchote à l'oreille tout ce qu'il faut savoir sur tout ce qu'il ne sait pas... encore. Il est comme cela, le ministre de l'Ecologie, il sait s'entourer d'hommes et de femmes qui, dans l'ombre, entretiennent la lumière. Fidèles parmi les fidèles, ils l'accompagnent depuis des années.
10 h 45 : une pause rapide avant de replonger dans les concertations, tête baissée, manches relevées, poings fermés. On dirait un puncheur. «S'il faut travailler 24 heures sur 24, nous le ferons, assure-t-il. Nous parlons aujourd'hui un langage universel. Celui de l'environnement et du développement durable. C'est l'occasion ou jamais d'entrer dans une nouvelle ère, celle de l'action où nous serons tous d'accord sur la forme et le contenu.»
Jean-Louis Borloo est venu défendre son projet d'Onue (Organisation des Nations unies pour l'environnement). Et pour convaincre, il parle fort, scande ses paroles et gesticule en permanence, dessinant de grands cercles avec les bras. «On travaille pour les cent prochaines années. Ce qui se joue aujourd'hui, c'est la façon de vivre de nos enfants !»
Sa présence est un symbole fort quinze ans après le Sommet de la Terre. Une mobilisation qui réunissait - en 1992 à Rio de Janeiro - 7 500 ONG de 165 pays, soit 17 000 personnes. Considéré comme «un moment historique pour l'humanité», ce Sommet rassemblait 172 gouvernements bien décidés à intervenir dans tous les domaines du développement durable. Ce fut la première prise de conscience collective d'une planète maltraitée par les pays industrialisés et en voie de développement. Aujourd'hui, les dirigeants sont moins nombreux. Peu importe, la date est anniversaire. Et Jean-Louis Borloo est venu plaider le bien-fondé d'une gouvernance mondiale.
12 h 00 : clôturer la réunion et sauter dans un avion pour se rendre dans le Minas Gerais. Un autre Etat du Brésil, grand comme la France. Une heure de vol consacrée aux questions des journalistes. Atterrissage. Quelques minutes lui suffisent pour s'engouffrer dans un hélicoptère dont les pales tournent déjà. Direction les forêts d'eucalyptus de la société Vallourec. Cette entreprise franco-suisse incarne l'exemplarité en ayant su associer le développement durable à l'industrie lourde. Il fallait oser. Et ça marche ! Vallourec, ce sont 550 000 tubes d'acier sans soudure par an destinés aux forages pétroliers, à l'industrie automobile, aux conduites de gaz. Entre autres. Ce sont aussi 5 500 employés et une production annuelle de 300 000 tonnes de charbon. Géant de l'acier. Entreprise modèle. Il s'agit ici du seul fabricant de segments au monde à utiliser une énergie 100% renouvelable dans son processus de production. Comment ? En plantant des eucalyptus. Pour produire le charbon de bois nécessaire au procédé, la fabrique cultive actuellement 130 000 hectares de forêt qui, durant leur croissance, consomment de l'oxyde de carbone et rejettent de l'oxygène. L'influence bénéfique est directe sur la réduction de l'effet de serre. La production de fonte à partir de charbon de bois se traduit par le prélèvement dans l'atmosphère de 1,8 tonne de CO2 par tonne d'acier produit : un tour de force ! Borloo écoute les explications données par un membre de la direction avec l'attention d'un premier de la classe. Il suit son guide pas à pas, ne perdant pas une miette des informations débitées par son interlocuteur dans un français approximatif.
Mais il est déjà temps de quitter l'usine sidérurgique et ses forêts. Dans l'hélicoptère, le ministre et le PDG de Vallourec se concertent. Le ciel s'empourpre. Le jour décline, usé, lui aussi...
Sur la piste, un avion l'attend.
19 h 00 : l'appareil parti de Belo Horizonte vient d'atterrir à Rio. L'homme est en pleine discussion : «C'est une entreprise du futur. Une véritable révolution technologique, environnementale, sociétale. On vient d'assister à l'exemple même d'un mécanisme de développement propre. Il faut en parler. Il faut absolument parler de ce que l'on vient de voir, de cette usine Vallourec !» Il court dans les boyaux transparents de l'aéroport de Rio sans perdre le fil de ses propos. Pas le temps de prendre une douche ni de se changer, bien que le bas de son pantalon soit recouvert d'une épaisse couche de latérite glanée sur les pistes des forêts du Minas Gerais. Direction la Résidence. Réception de l'ambassadeur. «C'est toujours intéressant de discuter avec les Français vivant à l'étranger.» Ici, ce sont des chefs d'entreprise et présidents d'association en lien avec les thématiques environnementales.
Mardi, 8 h 15 : le cheveu légèrement gominé, cintré dans un costume de marque, le ministre globe-trotter est déjà en entretien avec le gouverneur de Rio. Les discussions au palais de l'Itamaraty reprennent dans la foulée avec les interlocuteurs de la veille. Borloo tient à clôturer la convention et les entretiens bilatéraux par le même message que celui délivré la veille : la nécessité de créer une organisation internationale consacrée à l'environnement et au développement durable, l'Onue.
La chaleur est écrasante. Pas un souffle d'air pour rafraîchir la salle du palais. A l'ombre, le thermomètre a déjà grimpé à 25 °C... Borloo, le temps de la pause, grille une cigarette, ramasse le mégot et le jette à la poubelle.
13 h 15 : visite du parc de Tijuca. Là-haut, sur la plus haute colline de Rio. Un parc de 4 000 hectares pour servir d'écrin au gigantesque Corcovado, le Christ aux bras ouverts qui embrassent toute la baie de Rio. Jean-Louis Borloo écoute avec attention les différents acteurs de la préservation de cette immense espace vert. Il se baisse. Gratte avec les ongles l'interstice qui sépare deux dalles. Et posant une question, il ramasse le mégot coincé et le glisse dans sa poche de veste. Le ciel est tendu de bleu. La vue panoramique, à couper le souffle. Un instant, le silence se fait. Avant de reprendre le chemin inverse au pas de course. «Vite, on va rater l'avion !» Sirènes hurlantes, le convoi du ministre roule à tombeau ouvert sur l'autoroute de l'aéroport. Vingt-quatre heures se sont à peine écoulées qu'il faut rentrer à Paris.
Borloo s'installe dans l'appareil et écrase une masse phénoménale de dossiers sur sa tablette. Histoire de préparer la journée de demain. Un officier de sécurité discute avec son voisin : «C'est la semaine prochaine qu'on part au Groenland ?»
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